J'ai écrit ce texte suite à une demande sur internet, un concours pour paraître dans un recueil de nouvelles, le thème: la guerre et ses atrocités. Si le texte était sélectionné, le livre serait vendu en faveur des enfants malades. La nouvelle fut sélectionnée mais le recueil n'a pas vu le jour par manque de participants. Alors la voici!
Cela n’a rien à voir avec toi ou moi, cela n’a rien à voir avec le monde qui nous entoure, nous sommes juste mal nés, au mauvais endroit, au mauvais moment. Mais qui suis-je pour dire cela, qui dans ce monde peut dire être bien né? Ces gens-là existent peut-être mais je ne les connais pas. Ce matin, j’ai croisé le regard de cet enfant, il devait avoir environ 10 ans, le regard dur comme la pierre, une arme à la main, c’était lui ou moi. Je suis encore vivant…
Nous avons rasé son village, nous avons rasé tellement de villages. Je ne sais plus ce que sont les sentiments, je vois les gens souffrir, ils crient, ils pleurent, ils saignent mais je ne m’arrête plus. Oh, bien sûr, avant, je m’arrêtais, je les regardais l’air abattu, tentant de reprendre le contrôle de moi-même, ne pas lâcher mon arme, ne pas les aider, ils sont nos ennemis. Nos ennemis… J’aurais donné beaucoup de choses, avant d’être lancé sur le champ de bataille, pour rencontrer et découvrir tous ces gens, mais aujourd’hui, ils sont nos ennemis. Alors maintenant, je leur marche dessus, et s’ils crient, je m’arrête et leur donne un coup de godasse en plein visage, puis je repars. Je brûle, je tue, je fais souffrir, mais que suis-je devenu?
Je n’étais pas comme ça avant, j’étais contre la violence, j’aimais mes enfants, je les regardais jouer tout le temps, c’était comme une passion, les écouter rire, chanter, les regarder dormir. J’aimais les fêtes entre potes à refaire le monde autour d’un bon repas et d’une bonne bouteille de vin. J’aimais aller voir ma famille, j’aimais ma femme, le temps que l’on passait ensemble, son regard.
Mais des regards, j’en ai croisé tellement depuis, des regards de jeunes militaires qui partent en guerre, l’air fier, l’air innocent. J’ai vu leurs yeux changer, devenir durs, pleins de haine, en passant par l’horreur bien sur, paniqués, pleins de larmes. J’ai vu ces garçons se perdre dans les cris, les plaintes, je les ai vu avoir peur, tellement peur, des jeunes hommes devenus des meurtriers, contre leur gré.
J’ai croisé son regard, celui qui un jour m’a affirmé que nous gagnerions cette guerre, que nous menions le juste combat, alors nous ne pouvions que sortir vainqueurs en levant nos casques et nos bouteilles bien haut. Je l’ai regardé pleurer, je l’ai regardé perdre tout goût pour la vie, je l’ai vu trembler, son arme à la main, assis dans la boue, ses yeux dans les miens, il n’y avait plus rien, son esprit était vide et je l’ai assisté de mon regard lorsqu’il a porté son arme sur sa tempe. Je ne l’ai pas abandonné, même dans sa plus insurmontable détresse.
J’ai croisé leurs regards, ces enfoirés contre qui je me lève chaque jour, j’ai vu leurs yeux me supplier lorsque mon arme était pointée sur eux mais sans hésiter je mettais une balle dans leur maudite tête - je les hais, je les hais! Sans eux, je ne serais pas ici, pas maintenant! Il y en a un à qui j’ai épargné la vie, je l’ai vu, il n’avait pas plus de dix-neuf ans, il ne savait pas où il était, il avait perdu sa raison, son âme. Mais il n’avait pas perdu son arme, à peine étais-je retourné que j’entendis une déflagration qui me fit baisser la tête, un autre gamin, dix-neuf ans aussi, lui avait tiré dans le ventre, l’autre allait me flinguer, des gosses mais plus des humains.
J’ai croisé tous ces regards et j’en ai oublié celui de ma femme, celui de mes enfants. Il n’y a plus rien de bon en moi. Je me bats tout les jours au milieu des balles qui filent près de mes oreilles, je me faufile entre les explosions d’obus qui tombent au milieu de nos rangs, je rampe dans la boue et sur les corps de tous ces militaires qui croyaient revenir en triomphe, avec un peu de chance, ils seront enterrés là, leurs médailles envoyées a leurs familles. Quant à mes nuits, je les passe aussi à faire la guerre, je me bats contre moi même, contre ma conscience qui m’insulte toutes les nuits de plus en plus fort, je revois chaque nuit ce qu’il s’est passé chaque jour, l’horreur me hante. Je revois le tatouage sur le bras de mon ami d’enfance, représentant un aigle qui plonge sur sa proie et je me souviens de ce jour ou j’ai vu ce bras sortir de dessous les corps des autres déjà morts. J’ai couru vers lui pour le dégager, j’ai pris son bras pour l’amener vers l’oxygène, je voulais qu’il respire, je voulais le voir vivant. Mais seul le bras est venu. J’ai hurlé, comme je n’avais jamais hurlé avant, je crois que c’est ce jour là que je me suis vraiment rendu compte de ce dans quoi je me trouvais et par la même occasion, j’ai renoncé à l’amitié. Il s’est passé quelques jours, peut-être quelques semaines avant que je ne parle a qui que ce soit.
Alors c’est ça la guerre, on renonce petit à petit aux sentiments, d’abord, on renonce à la pitié, puis à l’amitié, puis à l’honneur et enfin, on renonce à la vie. Alors quand l’âme est vide de tout ce qui en faisait sa force, on cherche le moyen d’en finir ou bien on attend que quelqu’un en finisse pour nous. C’est ce que je vis tous les jours comme tous ceux autour de moi. J’aurais voulu lui dire au revoir, à celle qui était autrefois ma femme, leur dire au revoir, a ceux qui étaient autrefois mes enfants, aujourd’hui, plus rien n’est comme avant, et il est impossible que je redevienne celui que j’étais. Quant à cette guerre, elle ne finira jamais, j’aimerais tellement trouver le repos.
Ils sont là, ils nous attendent, ils sont en ligne, prêts a tirer, quand nous chargerons, les balles fileront près de nos oreilles, certains d’entre nous mourrons et d’autres continuerons de courir, de tirer jusqu’à la prochaine charge puis la suivante. Mais mon jour est venu, tout ça n’a aucun sens, plus aucun sens. Oh, bien sûr, cela n’a rien à voir avec toi ou moi, cela n’a rien a voir avec le monde qui nous entoure, nous sommes juste mal nés, et encore, va savoir, on naît comme on le mérite et l’on meurt de la façon dont il faut que nous mourrions. Est-ce écrit? Peut-être…
Un sourire, oui, c’est étrange mais c’est ce qui se lit sur mon visage maintenant que je pose mon arme à terre, maintenant que je suis un homme libre. Je me lève comme mes compatriotes et pour la première fois depuis tellement longtemps, peut-être une éternité, je cours vers un monde meilleur.
Le soldat Bateillon fut tué lors de la dernière charge, à la suite de cette bataille, un traité de paix fut signé. Lui, comme beaucoup d’autres, ont péri ce jour funeste, mais leurs esprits restèrent sur le sol qu’ils foulèrent. On a souvent supposé que quelqu’un qui se lance à la charge de l’ennemi ressent du patriotisme dans son coeur, cette fierté de se battre pour son pays, cette envie de victoire. Moi je crois que ce qu’ils ressentent, c’est un dégoût pour la vie, une envie d’en finir et une envie de croire qu’après la vie, de toute façon, ça ne peut pas être pire…